Gérald Ghislain
En tête à tête
Gérald Ghislain écrit sa propre histoire au rythme effréné des touche-à-tout passionnés. Épicurien, il goûte à toutes les saveurs de la vie, saupoudrant son quotidien d’un luxe raffiné. Curieux insatiable, il écoute, lit, découvre, puisant son inspiration dans ses voyages et ses rencontres.
C’est en 2000 que Gérald fonde Histoires de Parfums. Il crée une collection de senteurs rares et délicates :
des parfums qui lui ressemblent, riches de tempérament et singulièrement romanesques.
Pourquoi avoir choisi ce nom, « Histoires de Parfums » ?
Parce que c’est ce que j’aime, raconter des histoires, faire rêver. Mais comme je ne suis pas écrivain, j’utilise non pas des mots mais des essences.
Que racontent ces histoires ?
Elles parlent d’un savoir faire traditionnel passionnant, celui de la parfumerie française dont j’essaie de perpétuer l’exigence. Elles parlent de matières premières d’exception, que je choisis sur un seul critère : la qualité. Je veux que mes parfums restent sur la peau, et diffusent leur personnalité. Certains font des parfums discrets, moi non. Je veux aller au bout du geste de se parfumer : on le fait pour soi mais aussi pour les autres, donc je ne vois pas l’intérêt de créer des parfums que personne ne sent !
Pourquoi votre marque se présente-t-elle comme une bibliothèque dans laquelle chaque parfum représente un livre ?
Parce que j’ai eu une sorte de révélation en visitant, il y a très longtemps, le musée de la parfumerie de Grasse. Je voulais construire ma propre histoire du parfum en revisitant les fondamentaux (le chypre, le boisé, le floral etc.), à travers des personnages qui m’inspirent, identifiés par leur date de naissance. Ainsi, chaque parfum incarne un tome d’une encyclopédie subjective, d’un atlas poétique, dans lequel nous voyageons librement.
Comment avez-vous choisi ces personnages ?
Pour les parfums masculins, j’ai choisi Jules Verne, Casanova et Sade, qui forment une trilogie complémentaire dans laquelle j’exprime trois choses fondamentales pour moi : le voyage, le romantisme et l’érotisme.
Pour les féminins, je me suis laissé guider par mon instinct et par l’image que j’avais de femmes à la personnalité fascinante ; Mata Hari s’est imposée avec son voile de mystère et sa beauté orientale, Eugénie de Montijo avec sa personnalité fantasque et séductrice. George Sand qui aimait la nature et sa liberté m’a inspiré un jus fleuri et épicé et enfin Mona Lisa un parfum intrigant et saisissant, comme elle.
Et pourquoi des couleurs pour les fleurs ?
Je les ai imaginées d’une couleur qui n’est pas celle de la réalité. Notre pivoine est verte, rafraîchissante, donnant l’impression d’une fleur qui n’a pas encore éclos et qui distille délicatement son parfum. Le blanc d’une poudre de riz s’est imposé pour la violette, quant au patchouli, pour moi il a toujours été associé au noir avec sont côté fumé et mystérieux. J’ai aussi eu envie de parfums radicalement sensuels, illustrant un certain érotisme. L’année 1969 était une évidence pour une fragrance très près du corps, et l’ambre mythique s’accordait naturellement avec l’idée que l’on peut se faire d’un harem oriental…
Quel est votre premier souvenir de parfum ?
Comme beaucoup de personnes, le parfum de ma mère. Opium. Puis, celui que mon premier amour m’a offert, Mûre et Musc de Laporte (L’Artisan Parfumeur), j’avais 13 ans. Ensuite, j’allais dans des boutiques, seuls endroits où l’on trouvait des parfums rares à l’époque, comme Jicky ou Mouchoir de Monsieur de Guerlain…
Déjà très jeune, vous aviez des goûts très sûrs !
J’ai toujours aimé ce qu’on appelle ‘les belles choses’. Ma mère m’a transmis sa passion pour l’opéra et l’opérette, puis les femmes que j’ai aimées m’ont ouvert à la mode et à l’art de vivre. Le beau embellit le quotidien. Même lorsque je passe la journée seul, je m’habille avec attention, je choisis une jolie assiette pour mon diner, etc. Ce sont ces détails qui changent tout. Je n’ai pas eu une enfance idyllique, j’ai eu très tôt à assumer la responsabilité de la famille. Mon seul divertissement c’était rêver. Je me voyais devenir milliardaire pour que tout me soit accessible. Mais avant tout je voulais faire quelque chose qui touche les gens.
Et le parfum est arrivé comme ça dans votre vie ?
Pour les mêmes raisons, mais pas tout de suite. Il a fallu que je gagne ma vie, très tôt. Mais je crois que cela a été une chance de travailler très jeune, j’ai déjà vécu tant de choses ! A la maison, c’est moi qui cuisinais. Concevoir un menu, dresser une belle table, j’adorais ça. Et je n’ai pas changé : lorsque je cuisine pour mes amis, ils ne me voient pas de la soirée, je suis absorbé par le moindre détail, il faut que tout soit parfait ! Donc je suis devenu cuisinier, et à 22 ans j’ouvrais mon premier restaurant. Le parfum est arrivé en 1999, c’était un vieux rêve. J’ai suivi une formation à l’ISIPCA et les 12 fragrances d’Histoires de Parfums sont nées très vite.
Des saveurs aux senteurs.
Esthète, mais aussi entrepreneur, si l’on vous suit ?
Exactement. J’aime prendre des risques, me renouveler. Ce qui me plaît le plus, c’est parvenir à conceptualiser une envie, en faire une idée et mener cette idée à bien. J’aime créer, mais je veux que chaque projet aboutisse à quelque chose qui fonctionne et qui plaise, qui étonne les autres.
Comment passe-t-on du « piano » aux flacons ?
Le chemin est assez naturel. Dans les deux cas, on sublime la nature. Avec la gastronomie d’une part, on fait autant participer le goût que l’odorat. À partir d’un thème, d’une envie ou d’un élément, on compose une ambiance, une histoire, et on la met en œuvre avec différents ingrédients. Un peu de ceci, une pincée de cela, une goutte d’autre chose, sans oublier la présentation. La parfumerie procède exactement de la même manière que les arts de la table. Mais au-delà de la construction d’un parfum ou d’un plat, ce qui compte, c’est la notion de sensualité et de partage. D’ailleurs, avant un rendez-vous amoureux, on s’apprête, on se parfume, puis en général, on va dîner en tête à tête !
La gastronomie influence-t-elle vos parfums ?
Sans aucun doute, et réciproquement. Mais ce jeu d’influences est plus instinctif que réfléchi. Une amie m’a fait remarquer récemment qu’il y avait une note gustative dans chacun de mes parfums, comme la cannelle avec la rose, la vanille et la lavande, alors que j’organisais un repas chez moi avec des mets parfumés. Cocktails à base d’essence de vétiver, consommé « eau de parfum » au santal ou macarons à la bergamote. Le but est toujours d’étonner.
Pour autant, vous vous consacrez aujourd’hui quasiment exclusivement à votre marque, Histoires de Parfums. Pourquoi cette prédilection ?
Pour plusieurs raisons. La gastronomie est, tôt ou tard, soumise au facteur humain. Or je suis d’un perfectionnisme absolu, et j’aime suivre ce que j’entreprends de A à Z. Les grands chefs ne cuisinent plus, ou presque, c’est impossible. Avec le parfum en revanche, je touche enfin cette formidable sensation de maîtriser son outil, de m’investir personnellement à 100% dans ma création. Et puis, le boulimique d’idées que je suis est comblé avec le parfum, car c’est un champ inépuisable d’expression. On pourrait imaginer un parfum pour chaque instant de la vie. Le parfum réunit le rêve, l’imaginaire et la création matérielle. L’autre raison tient à la multiplicité des gens que je peux atteindre via mes parfums. Ce qui me plait, c’est que chacun peut s’approprier ces créations, imaginer quelque chose d’autre, sentir quelque chose de différent. Ce qui fait des milliers de versions de chaque parfum, au final !
Globe trotteur
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Walking! I constantly travel and spend a lot of time walking in the cities I visit. In NY, Barcelona, Berlin, I see many different people, in different architectures, different climates and it always gives me ideas. I don’t have much time to read, but lately I was greatly inspired by «Baudelaire - Les Fleurs du mal» - it inspired me to do a trilogy of scents based around the tuberose.
Créez-vous ces parfums pour vous ?
Non, pas du tout. Ils me plaisent tous évidemment, mais je les conçois vraiment pour les autres, pour que les autres les portent. Je crois que j’ai l’ambition de laisser une empreinte sur la peau des gens, sans pour autant me mettre en avant. J’ai un égo fort, je trouve malhonnête de dire le contraire, mais je ne pense pas être prétentieux.
Portrait intime
Quel est votre défaut alors ?
Je suis à la fois un peu envahissant et versatile. Je me mêle de tout, je suis très curieux mais je me lasse aussi très vite. Cela peut est très moteur mais un peu fatigant ! Néanmoins, je suis très fidèle. Je crois que je suis un peu insolent aussi…
Et vos principales qualités ?
À en croire mes proches, enthousiaste et généreux.
Quel est le moment de votre vie où vous avez été le plus heureux ?
J’ai 4 enfants, donc il y a eu 4 moments !!!
Quelle est votre définition du luxe ?
Exceptionnel, inédit, et peut-être inatteignable, du moins qui implique que l’on fasse un effort pour l’obtenir. Et pas simplement financier : le luxe se déniche, mérite qu’on se déplace, qu’on le cherche. Une relation peut être luxueuse en ce sens.
Votre dernier fou rire ?
Ce matin ; je rigole tout le temps !
Vos dernières larmes ?
Idem.
La qualité que vous préférez chez un homme ?
Qu’il ne me fasse pas d’ombre !
Chez une femme ?
Toutes celles que les hommes n’ont pas.
Le défaut pour lequel vous avez le plus d’indulgence ?
Tout ceux des autres mais surtout pas les miens.
Votre héros ?
Philleas Fogg
Votre journée idéale ?
Demain.
Votre boisson préférée ?
Du champagne rosé le matin.
Votre odeur favorite ?
Question très difficile, je suis amoureux des odeurs… L’odeur de la pluie sur des pierres chaudes me plait, le marché aux fleurs de Rungis peut être aussi très surprenant selon la saison. Mais je crois que les odeurs émanant d’une ferme ou d’un haras me touchent plus, car elles m’évoquent de nombreux souvenirs d’enfance, (mon père était Jockey et mes grands parents avaient une ferme).
Votre péché mignon ?
Tout dépend de qui m’accompagne.
Votre couleur préférée ?
Elle n’existe pas encore mais j’y travaille…
Votre bruit fétiche ?
La sonnerie des vieilles rames de métro.
Votre compositeur préféré ?
Albinoni pour sa tristesse en général et son Adagio en particulier, et Strauss pour sa gaité et ses opérettes.
Votre livre de chevet ?
L'Écume des jours de Boris Vian.
Votre obsession ?
Comme j’ai une nouvelle idée à chaque seconde, je suis obsédé par le moyen de la réaliser.
Quel est le plus beau compliment que l’on puisse vous faire ?
Je n’aime pas trop recevoir de compliments. Mais j’éprouve un énorme sentiment de satisfaction lorsque l’on me félicite sur une de mes réalisations.
Si Dieu existe, que lui diriez-vous en arrivant au paradis ?
Ah ! je suis bien content, je ne m’étais donc pas trompé. Mais je n’étais pas pressé de vous voir…
Si l’on vous offrait une baguette magique, qu’en feriez-vous ?
Je parlerais toutes les langues.